• Yuriko était restée une semaine de plus à Paris chez son grand couturier, et j'avais hâte qu'elle revienne. Les jours suivant l'interrogatoire avaient été remplis de doutes et de suspicion, mes collègues me regardaient bizarrement. Quand je rentrais, c'était en marquant le pas dans les couloirs pour signifier au voisin à coiffure de super saien qu'il devait freiner sur la ponceuse à disque. Bref, je n'aspirais qu'à retrouver un peu de tranquillité, uniquement tourmenté par les lubies rigolotes de ma fofolle kawaii...
    Puis, le jour de l'emménagement d'Adam est arrivé. J'ai été réveillé à sept heures par l'invasion des déménageurs. J'ignore combien ils étaient, j'ai fui. Je suis parti une heure en avance au boulot, dans l'entrée de l'immeuble, j'ai dû slalomer entre les cartons pour atteindre la porte, maintenue ouverte par une commode en bois. J'ai pris mon petit déjeuner attablé devant mon pc.

    En sortant du cyber-café, je ne suis pas repassé à l'appart. Les déménageurs amateurs doivent encore être à l'oeuvre, et je tiens pas à subir la gêne occasionnée, ni même croiser la tronche d'ahuri de mon nouveau voisin dans les couloirs. En plus il serait capable de me demander un coup de main.
    Ce soir, je coucherai donc chez (et avec)Yuriko.
    Elle revient de son séjour dans dix minutes, par le TGV 5922 en provenance de Paris Nord. Juste le temps d'un ptit expresso à trois euros, bon sang ils se font pas chier ici les cafetiers... Qu'importe, ce soir je vais passer une torride soirée de retrouvailles.

    A suivre...


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  • Suite au plantage massif du système réseau, nous avons du passer au peigne fin tout les branchements, l'ethernet, les raccords, les routeurs, des ports usb, tout. Jay et moi avons fait l'objet d'un brieffing très particulier.
    La version de Jay : "J'ai rien vu. Un son strident a retentit, l'image s'est figée et le casque s'est éteint."
    Ma version officielle : j'ai cru voir une silhouette se mouvoir de façon saccadée à quelques dizaines de mètres de moi. Un son strident a retenti et j'ai arraché le casque pour épargner mes oreilles.

    Le problème, c'est qu'ils n'ont pas l'air de me croire. Parce que j'avais l'air effrayé quand j'ai arraché le casque de ma tête. Mais si je leur racontais la vérité, que diraient-ils... Je me rappelle le gamin dans sixième sens : "-Je vois des gens qui sont morts "

    Bin moi, je vois une personne qui n'existe pas.

    En fait si, elle existe, mais uniquement dans mon imagination; et sur quelques bouts de papier. La belle affaire. Si je leur sors cette version là, c'est sûr, Rhanji va me poser un arrêt de travail forcé, et on va m'enfermer chez les dingues. Prozac, Tranxène, Lexomyl.... Ça existe encore les traitements par électrochoc??
    Et quand bien même ils me croiraient, ça les avancerait à quoi? Pourquoi elle apparaît dans ce jeu? Comment elle peut se matérialiser là dedans?? Pourquoi tout le système plante quand elle apparaît?

    Est-ce qu'elle a une âme?... Est-ce que je deviens fou?...

    Rocco et Jay ont testé les casques, pour vérifier le problème du son strident. Evidemment, ils n'ont rien trouvé. Pendant ce temps, j'ai eu droit à un second interrogatoire avec Panda.

    trrgtr.jpg

    -Silvère, juste avant le crash, tu as parlé d'une silhouette. Qu'est-ce que c'était?
    Il attaque fort le bougre. J'ai l'impression d'être en garde à vue, soudain.
    -Un espèce d'avatar... blanchâtre.
    -Tu pourrais me le décrire?
    -Heu... Je sais pas.. C'était fugace...
    -Tu pourrais essayer? Tu avais l'air insistant, sur le moment, alors qu'on n'a rien détecté au scan de zone.

    Je reste bouche bée. Je fais semblant de rien, mais je sais où il veut en venir. D'une main il ramène ses cheveux derrière ses épaules.
    -Silvère, je veux déterminer la nature de cette apparition. Je veux comprendre ce qu'est cette chose, que tu as vu, ou cru voir.
    Ça y est. On y vient.
    -Tu crois que je suis dingue?
    -Je n'ai pas de grands doutes sur ta santé mentale, et d'ailleurs j'ai une toute autre hypothèse sur cette apparition. Et si effectivement ce que tu as vu n'était pas le fruit de ton imagination, j'ai la conviction qu'elle est liée à ce qui est arrivé au système réseau.
    -Tu veux dire que c'est elle qui a provoqué le plantage?
    -Volontairement, ou pas.

    Je réfléchis quelques secondes.
    -Tu penses à du piratage?
    Il hausse les épaules.
    -Quoi d'autre? En tout cas, quelqu'un qui soit veut saboter le système réseau, soit veut jouer sans payer. Ce qui expliquerait l'avatar.

    Je me sens de plus en plus mal à l'aise.
    -Je... crois que tu fais fausse route. Quel besoin aurait un saboteur, de pénétrer le jeu avec un avatar pour foutre en l'air le système réseau?
    -Je l'ignore, mais il va falloir chercher, et surtout trouver. Je penche davantage pour un resquilleur, cela dit.
    -Je sais pas... L'année dernière quand c'est arrivé, elle ne  jouait pas, elle était juste assise dans un coin...

    Rhanji hausse les sourcils et se redresse.
    -"Elle"? L'année dernière? C'est donc pas la première fois que tu vois cette chose spawner en plein jeu?

    Aïe. Me suis vendu tout seul, comme un con! Moi et ma grande gueule... Panda est suspendu à mes lèvres. Il ne me lâchera pas tant que j'aurais pas craché le morceau.
    -Silvère, c'est grave, ce qui ce passe. Je ne comprend pas tes réticences à parler de cette expérience, mais je vais tâcher de t'expliquer la situation d'un point de vue strictement commercial. Tu sais comment fonctionne le monde informatique, le progrès technologique semble en expansion infinie... 
    Le jeu commence à dater, les protections aussi, il n'y a que grâce à un matériel de pointe qu'on parvient à y jouer, ce qui maintient le monopole d'exploitation par cyber-cafés. Si, avec une bécane boostée-optimisée privée, un mec parvient à craquer le jeu, on va perdre des clients. À terme, peut-être nos jobs. Si ça s'est déjà produit et que tu ne nous a rien dit, tu as commis une faute professionnelle.


    Je déglutis.
    - Si j'ai rien dit, c'est qu'à l'époque, j'ai cru avoir eu une hallucination, et puis j'avais aucune preuve tangible à vous montrer; du reste, vous aurez beau chercher, il n'y en aura pas davantage cette fois. Tout ce que je peux te dire, c'est que j'ai scanné une seule fois le loggin.
    -Qui était?
    -Ex Nihilo. Nan, Nihilo Ex en fait. J'ai recherché partout la trace de ce loggin, jusqu'au comptes ouverts par les concepteurs de jeu, les officiels, et partout, « no match ». Mais vraiment rien!
    -Ce qui peut confirmer que c'est bien un loggin pirate. Tu as relevé un nom de personnage? 

    Je ricane nerveusement. Me voilà contraint à dévoiler le secret le mieux gardé de toute ma vie, le truc le plus intime. Je cherche désespérément une issue. À la rigueur, passer pour un dingue était pas une si mauvaise option... Quoique, officiellement, ça n'était pas écrit « Aïna «  au dessus de sa tête quand je l'ai vue la première fois.
    -Il n'avait pas de nom. C'est pour ça que je l'ai scanné, pour voir le loggin. Je l'ai remarqué dans une zone, à la fin d'une anime. J'allais lui dire de choisir un nom de perso, au moment où le réseau a crashé.
    -Tu l'as approché suffisament près pour pouvoir m'en faire une description?

    Recoincé. Merde.
    -Et puis? Tu comptes placarder des avis de recherche dans le jeu? Lancer les joueurs à ses trousses en échange d'une prime?
    -Pourquoi pas? Mais plus sérieusement, on pourrait chercher des traces de son passage sur des forums. Est-ce que tu l'as vu de près, ou pas, Silvère?

    En cet instant, je voudrais que la terre tremble, qu'une bombe pulvérise le cyber-café. Qu'un joueur psychopathe fasse irruption dans le bureau pour m'abattre d'un coup de fusil, pour quelque futile motif que ce soit. Je ne peux pas, je ne peux pas parler d'Aïna. Et plus j'hésite, plus je paraît suspect aux yeux de Rhanji.
    -Je te l'ait déjà dit... C'était... Blanc et flou... ça avait l'air d'être un avatar femme, mais je pourrais pas en jurer... Mais de toute façon, un avatar, ça se change...

    Un peu court comme description, mais Rhanji semble s'en contenter. Il prend des notes au clavier, ses longues mains sombres courent sur les touches, il reste un moment à taper ainsi, les yeux rivés sur son écran. Quelques mouvements de souris, quelques clic, et il revient à moi.
    -Je vais faire remonter l'info chez Minux, on verra bien ce qu'ils décident. En attendant, on va ouvrir l'oeil, et se tenir prêt, au cas où notre intrus repointerait le nez dans notre système réseau.

    Je me lève précipitamment, je pose la main sur la poignée de la porte, mais Rhanji ajoute une dernière chose.
    -Je sens que tu ne me dis pas toute la vérité,  je ne suis pas dupe. J'espère simplement que tu sauras m'en faire part avant que la situation ne s'aggrave.

    Je n'ai même pas le courage de le regarder en face. Je fais un vague geste de la main, et je quitte le bureau.


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  • Il y a tant de trains qui passent dans ma tête...
    Celui de cette nuit m'emmenait dans une quête mystérieuse, suite à la lecture d'un obscure petit livre rempli de maximes philosophiques sur la vie. Un contact à la gare m'avait remis discrètement un billet aller-simple, en me spécifiant que le retour ne se ferait pas par le même itinéraire...
    Avec pour tout bagages le livre en question et quelques vêtements de rechange, je faisais route vers l'inconnu... Dans un de ces vieux trains Corail, avec les compartiments qui sont si propices à l'intimité, et à la découverte du voyageur en face de soi. Mais pour le coup, j'étais seul, et je goûtais encore une fois pleinement ce moment de solitude, appréciant le confort qui m'était offert de pouvoir étirer mes jambes et fumer en paix.

     Par la fenêtre, je redécouvrais les couleurs de la nature, comme je les voyait étant enfant, pures et vives; l'air avait un parfum de foin, de menthe, de vacances... Le parfum du soleil.. Parfois je me rapelle...

    Je descendis du train à un arrêt en pleine rase campagne, avec rien autour de moi, que la nature et les hirondelles. Le silence était à peine troublé par leur chant, qui m'a toujours fait penser au bruit d'un élastique que l'on mâchonne. Rien n'indiquait sur mon billet que je sois arrivé à destination, j'étais simplement descendu. Je marchais quelques temps au hasard, à travers champs, et c'est là que je la retrouvai.

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    Elle m'attendait, somnolente au soleil, mangeant des fraises des bois qui poussaient tout autour de son corps, et qu'elle cueillait d'un geste paresseux, en étendant simplement les bras. Sa bouche était rouge du jus des fruits. Je savais qu'elle était à la fois mon guide et ma tentatrice, et j'ignorais ce que je devais faire, lui résister ou la suivre
    Je laissais glisser le sac de mon épaule, et je me couchais à ses côtés, étourdi par une torpeur doucereuse et irrépressible. Je fermai les yeux, et je sentais sa main carresser mes cheveux et mon front, jusqu'à ce que je sombre dans un sommeil parfait et bienheureux.

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