•  



    Il fallait bien que ça arrive, et évidemment, la chose se produit au moment où j'en avais le moins envie. 

    Yuriko m'avait promis un petit resto en amoureux, mais elle ne m'avait pas prévenu qu'elle avait invité quelqu'un pour tenir la chandelle...

     


    Elle eu un petit doute en voyant Amour se détacher du comptoir pour nous accueillir.

    Avec sa djellaba blanche immaculée et son gros ceinturon à la Shakira, l'hermaphrodite paraissait nettement plus androgyne qu'à leur première rencontre. Quant à moi, j'étais trop stressé par le contenu des conversations à venir pour me soucier de son apparence.




      



    Durant l'apéritif, ma petite bridée raconta son séjour à Paris, sa découverte des ateliers de confection de haute couture...

    Je l'écoutais d'une oreille distraite, ayant déjà eu droit au récit détaillés les jours précédents; Amour montrait davantage d'intérêt et semblait très concerné par les questions de modes et de tendances, ce qui faisait beaucoup plaisir à Yuriko....





    Si bien qu'à un moment, j'eus bel et bien la sensation que c'était moi, qui leur tenait la chandelle.








    Puis vint la question fatidique:     


    Je choisis de revenir un peu dans la conversation, surtout pour empêcher Yuriko de raconter des bêtises.
    -En fait, j'étais invité à l'anniversaire d'un pote... Je connaissais personne à part lui, mais y avait un buffet garni, alors je me suis préparé une bonne assiette et je me suis installé peinard dans un coin pour bouffer...










    -Elle m'avait piqué une saucisse cocktail! Et elle avait l'air de s'en foutre comme de l'an quarante...
    -Silu-chan, c'est quoi l'an quarante?
    -Je t'expliquerais plus tard... Bref, quand j'ai compris qu'elle se payait ma tronche, j'ai replongé le nez dans mon assiette, elle a insisté, et on a commencé à discuter...









     

     

    -Oui, mais en fait, je voulais dire « bad mood », de mauvaise humeur... j'avais un trou de mémoire, hi hi! Mais tu as souris après, alors elle marche ma méthode!
    -Ta méthode mnémotechnique pour passer du japonais à l'anglais, et de l'anglais au français? Ça oui, elle me fait doucement rigoler...

    Amour pouffe poliment de rire, tout en trempant gracieusement ses sushis dans la sauce soja.





    Je pousse un gros soupir. Je tente de maîtriser mon expression faciale pour afficher le regard le plus détaché possible. Yuriko se tourne vers moi et me caresse la joue d'un geste tendre.
    -Mon pauvre Silu-chan, dit-elle d'une voix douce, tout triste et abandonné, noyant son chagrin dans l'alcool...
    -C'est du passé, enchaine Amour. Excuse-moi de remuer de vieux souvenirs...
    J'ai du mal à interpréter le regard qu'ile pose sur moi en prononçant ces mots.
    -Comme tu dis, c'est du passé. Je suis avec Yuriko à présent.





    Je passe ostensiblement mon bras autour des épaules nues de ma petite bridée, et la presse contre mon flanc. Dans ma tête, j'entends comme un son de cloche fêlée.

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  • De tout le trajet jusque chez Yuriko, j'ai pas pu articuler un mot. Dire qu'elle était contrariée est un doux euphémisme. Je me sentais à la fois coupable envers elle, et embarrassé par sa compagnie. Aussi ai-je continué de me taire.
    À peine arrivé à son appart, je la portai jusqu'à la chambre, et sous les draps je donnai le change le mieux que je pu. Mais sans cesse revenait dans mon esprit l'image d'Aïna-Léah, ses boucles blondes, son teint de porcelaine, sa voix... Si bien qu'à la fin, je ne savais plus qui j'étais en train de serrer dans mes bras, Aïna, Yuriko, Léah...
    Après l'effort, elle a retrouvé la pêche et semble consolée. Elle commençe à défaire ses bagages, et à me raconter son séjour. Tandis que les questions sans réponses recommencent à danser dans mon crâne.




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  • Non, attend, ya un truc là. 

    Aïna n'existe pas!!

    Maintenant c'est clair : Quelqu'un se paie ma tronche. Ya un truc. La fille me regarde toujours, interloquée.
    Nom de ... Tu vas vite comprendre, pétasse. Si ya bien une chose au monde avec laquelle faut pas déconner, c'est bien mon jardin secret. Je vais bousiller la gueule de celui qui s'est permis de mettre le nez dans mes cartons à dessins. Sans compter les problèmes au boulot. Quelqu'un va enfin payer pour tout ça.






    Une fraction de seconde, mon cerveau court-circuite, les infos s'entrechoquent brutalement, sans logique. J'émerge de la quatrième dimension. "Voisins de pallier", ça veut dire quoi ça?
    Pendant ce temps, la pauvre fille est pétrifiée, l'air super mal à l'aise... Elle se lève tout en me fixant, comme quelqu'un qui s'éloigne avec précaution d'un animal dangereux.
    -Je.. ne vais pas vous déranger plus longtemps, excusez moi..

    Bravo. Bien joué. Excuse-toi connard, VITE!!!
    -Attendez! Excusez moi, je ne sais pas ce qui m'a pris... je suis fatigué en ce moment, manque de sommeil,  et je suis impulsif dans ces cas-là, et.... je suis désolé, vraiment. Au fait, moi c'est Silvère...
    -Oui, je sais... 
    Elle hésite, reste figée à quelques pas de la table.




      

    -Ah, euh oui.... Evidemment... Je peux vous offrir un verre, pour me faire pardonner?
    -Merci, mais une autre fois peut-être.. On passait à la gare reconduire des amis qui nous ont aidé à déménager... Comme je vous ai aperçu là, je voulais vous saluer... Enfin bref.

    Attend, je t'en supplie, reste un peu encore...
    -On peut se tutoyer... Comme on va vivre ensemble.. Euh! Je veux dire, on va se croiser souvent... dans les couloirs, tout ça...
    -J'ose jamais le proposer d'abord, mais ça m'arrange aussi en fait,
    dit-elle en se rasseyant timidement.
    Elle esquisse à nouveau un sourire. Ouf. J'enchaîne.
    -Alors, qu'est-ce que tu fais dans la vie?






    Je me sens tout chose... Mes mains tremblent, je les planque sous la table, pour que Léah ne le remarque pas. Je ferme les yeux un instant. Respire à fond, mec...







    Moi, je t'aime. Je suis amoureux de toi. Tu me hante depuis toujours. Je t'ai attendu toute ma vie. Tu es mon ultime fantasme, tu es mon idéale, tu es celle que je veux, du plus profond de mon être. Pourquoi t'es pas arrivée plus tôt? Tu me brises le coeur. Je te reconnais. Ta bouche, qui remue à peine quand tu parles, tes joues rondes d'enfants, comme des pommes à croquer, tes grands yeux sombres qui brillent de joie de vivre... 

    Je t'aime, Aïna.







    Mais plutin qu'est-ce que je raconte moi?! Cette fille n'est pas Aïna!! Juste une pâle copie, de chair, de sang et de merde! Reprend-toi bordel!
    -Heu... moi, je suis dans l'informatique... Je ...

    -Ça y est ma chérie, ils sont partis!
    Adam est là, comme surgit du néant, il m'adresse un petit salut et tend la main à Léah. Elle se jette dans ses bras, sans doute bien soulagée de retrouver son mec, après s'être faite agressée gratuitement par son voisin de pallier psychopathe. Elle est radieuse. C'est si beau une femme heureuse. Quant à moi.... Je me sens nul, abattu. Con et minable.





    -Bon, c'est pas tout ça mais on a des courses à faire si on veut manger ce soir... Silvère, ça te branche une soirée pizzas?
    propose Adam.

    Léah tressaille.
    -Mais mon chéri, on a même pas encore remonté la table ni le canapé! On va pas l'inviter au beau milieu des cartons!?
    Vous en faites pas, j'ai aucune envie de tenir la chandelle... Je lève le bras en signe de négation.
    -De toutes façons, je peux pas ce soir, j'attendais ma copine qui doit arriver, d'ailleurs, elle doit déjà être sur le quai.
    Sauvé par le gong. Adam hausse les épaules.
    -Alors à plus tard... On fera une vraie pendaison de crémaillère, une fois qu'on aura mis de l'ordre, tu es déjà invité! Bonne soirée!
    -Ouais, salut...







    Je les regarde s'éloigner main dans la main, sautillant comme des gosses, jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans la foule.


    Le charme est rompu. Autour de moi, le monde redevient terne, la lumière du soleil a disparu, laissant celle froide et brutale des néons et des halogènes, prendre le relais. Je remarque soudain que j'ai oublié d'allumer ma clope. Je me lève péniblement de mon siège, j'ai l'impression d'avoir cent ans. Je me dirige vers le quai numéro 5, où m'attend Yuriko.








    -Ça ne va pas Silvère? Tu n'es pas content de me revoir?



    -Je suis fatigué... j'ai un méga coup de barre. Tout va bien. Ça va passer.


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