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  • La rue est bruyante et pourtant c'est comme si je n'entendais rien autour de moi.
    Je déambule, déconnectée de tout, depuis que Marvin m'a (gentiment) flanquée à la porte.
    Si je m'attendais à ça...
    Là je peux vraiment rien pour lui.
    Bon sang, ça fait combien de temps qu'il en pince pour moi?? Est-ce que dans mon attitude, je me suis montrée ambigüe au point qu'il s'imagine qu'il avait le moindre espoir de....?

    "Si je t'avais pas parlé de Silvère, peut-être que toi et moi ça aurait pu marcher."

    Peut-être. Ça aurait peut-être marché. Quelques jours, quelques semaines, quelques mois, qui sais... Mais Marvin, tu aimes indifféremment hommes et femmes, et moi je ne partage pas la personne que j'aime. Et quand bien même tu serais prêt à ne te consacrer qu'à moi, le sacrifice ne te rendrait-il pas malheureux, à la longue?
    De toutes façons c'est pas toi que j'aime, un point c'est tout. Il n'y aura jamais de "toi et moi".

    Je ne sais pas si c'est le fait d'avoir eu quatre frères, mais j'ai toujours vécu mes relations avec les hommes comme un jeu.
    C'est par jeu que je suis sortie, pendant deux mois, avec un sportif narcissique fan de formule 1.
    C'est par jeu que j'ai accepté les avances d'un dragueur marrant en boîte de nuit.
    C'est par jeu que j'ai décidé de séduire un geek renfrogné.
    Mais celui-là m'a donné du fil à retordre. Il résistait tellement que j'ai du déployer plus d'efforts que prévus, et je m'y suis attachée. Il n'y avait (apparemment) aucune concurrence. Et la seule personne qui avait un amour profond et indéfectible pour Silvère, était empêché de lui témoigner.

    Je venais de me débarrasser de mon nageur relou et j'avais passé une nuit agréable, avec quelqu'un qui n'attendait aucun engagement affectif de ma part. Je ramassai mes sous-vêtements au pied du lit. Tandis que je remettais mon soutient-gorge, et que Marvin me proposait de prendre un café avant de partir, j'ai remarqué un cadre, un seul, posé sur une commode en face du lit. Dans le cadre, une photo où mon hôte prenait la pose, en compagnie d'un type qui souriait comme s'il avait capitulé à force de blagues nulles.
    Lorsque j'ai demandé à Marvin qui c'était, je ne m'attendais pas à provoquer un déluge d'explications. Il en parlait comme de quelqu'un dont il aurait été très longtemps amoureux... Tout en niant avoir eu ce genre de sentiment pour son "meilleur ami".

    Un geek, pince-sans-rire et torturé, j'avais jamais essayé! Le challenge me paraissait intéressant. Mais quand j'ai demandé à Marvin de faire les présentations, il a refusé tout net, prétextant une promesse de jeunesse... J'ai pensé qu'il voulait protéger Silvère. Après la façon dont on s'était rencontré, il redoutait sans doute que je fasse souffrir son amour impossible. Se pourrait-il que déjà à ce moment-là, il ait eu des vues sur moi, ou bien est-ce venu plus tard? Et moi qui n'arrêtait pas de lui demander de l'aide, avec Silvère... Maintenant je comprends pourquoi ça l'irritait de plus en plus. À chaque fois, je remuais le couteau dans la plaie.


    Sur ces vaines réflexions, j'arrive devant mon immeuble.
    Dans le hall d'entrée, assis dans la cage d'escalier, Silvère se lève. Il a fait vite, Marvin avait raison.
    Il me regarde avec un parfait air de chien battu en tripotant les bord de ses manches.
    Est-ce que j'irais en prison s'il meurt d'une rupture d'anévrisme provoquée par un coup de poing?

    -Tiens, t'es pas encore mort?
    Il baisse la tête et encaisse la vacherie. C'est de bonne guerre, après tout.
    -Jen, j'te demande pardon. J'suis tellement con...
    -Je confirme, ouais, t'es le roi des cons, dis-je sèchement, et je passe devant lui pour regagner mon appart'.

    Comme il se contente de soupirer bruyamment, je me retourne et j'enchaîne.
    -Tu peux pas continuer à me faire souffrir comme ça. J'y suis pour rien moi dans cette histoire. Je voulais te soutenir, et tu m'envoies chier, et en plus en ressortant un vieux dossier! Je me doute que t'es dégoûté, que t'es désemparé, mais t'en prendre à moi alors que...
    Je m'aperçois que je tourne en boucle. Écoute, j'ai plus envie de jouer.
    Je m'engage dans l'escalier. Il m'attrape le bras.
    -J'ai peur Jen. Mais pas seulement depuis le rencard à l'hôpital. Ça a commencé quand Aïna a débarqué sur Ysckemia. Entre le harcèlement, mes hallucinations, et maintenant ce truc dans mon cerveau, je sais plus où donner de la tête. J'ai tellement peur que parfois je me dis que ce serait aussi bien que j'arrête de vivre, d'un seul coup, comme on débranche une prise. Enfin ce serait plus acceptable que de finir en légume lobotomisé. J'en peux plus de me sentir menacé.
    -Et moi, m'écrié-je, où je suis dans tout ça, hein? Tu y penses à ce que je ressens? À ton avis, ça me fait quoi de savoir que ta vie est menacée, et que même tu préfèrerais en finir?? Et si je te quitte, tu vas m'faire du chantage au suicide, comme avec ton ex?

    Il me regarde avec un air de totale incompréhension. Fini le chien battu.
    -J'ai jamais tenté de me suicider, qu'est-ce que tu racontes?

    Ah oui c'est vrai, il était pas sensé le savoir. Oh et puis merde.
    -Quand Lise t'as plaqué, le jour où elle a vidé l'appart. T'as voulu t'ouvrir les veines dans ton bain. T'étais bourré, alors tu t'en souviens pas.
    -Qui t'as dit ça?
    -La personne qui t'as empêché d'en finir. Et qui t'a veillé toute la nuit pour pas que tu recommences. Et qui a préféré se taire pour pas te remettre l'idée en tête. La même personne qui a déposé chez toi l'album de dessins d'André.

    Il digère lentement l'information.
    -Ce serait pour ça que... Qu'ile revenait sans arrêt prendre des nouvelles... Ile craignait que je récidive?...
    Il titube et s'assoit sur une marche.
    -Je croyais qu'ile s'était amouraché de moi ou un truc du genre. Mais attend, comment il a su, pour l'autre patient de Saint Thomas?
    -Le hasard des rencontres, faut croire. Tu devrais en discuter directement avec lui.

    Il passe ses mains sur son visage, il a l'air crevé. Désabusé, il lève les yeux vers moi et demande :
    -Ya encore des trucs que j'ignore?
    Ton meilleur ami est bi, et il est amoureux de moi. Et peut-être aussi encore de toi. Tu devrais en discuter directement avec lui.
    Ça me démange de balancer mais Marvin me tuerait probablement.
    -C'est tout.

    Il reste silencieux un moment. Une partie de moi a envie de le planter là, de gravir les escaliers en vitesse, de rentrer chez moi et refermer la porte à double tour. Mais j'y arrive pas.
    Silvère articule enfin, d'une voix rauque :
    -Je t'aime, tu sais. J'ai jamais aimé une fille aussi fort. Si tu ne me supportes plus je comprendrai. Et concernant Marvin, ce que j'ai dit c'était moche, mais dans un sens, je pourrais comprendre, enfin si je meurs, que tu veuilles de lui pour te consoler..

    Ah non, il va pas remettre ça!
    -Alors ça, t'en fait pas, ya pas de risque que ça arrive!
    -Après l'histoire du chantage, poursuit-il, il m'a dit qu'il avait un peu craqué pour toi... Et puis comme il était le premier...
    Tiens donc. Marvin avait craché le morceau! Sa loyauté me sidère. Bon bah comme ça c'est fait. Et cette andouille qui veut me refiler à son pote comme un héritage... Misère...
    -Arrête, tu t'enfonces...
    Je m'assois à côté de lui et je prends son visage entre mes mains.
    -Silvère, c'est ta dernière chance. La dernière. Ne la gâche pas. Je reste pas par pitié, seulement par amour. Mais n'abuse pas de ma patience.

    Tandis qu'il tend les bras vers moi son portable sonne, il décroche. Je devine qu'il s'agit du neurochirurgien. Silvère enchaîne les "oui", les "non" les "mh" et puis soudain, son visage fatigué se creuse davantage et devient pâle. Il raccroche, et se met à rire en silence. Je m'attend à ce qu'il me dise qu'il n'a plus qu'un mois à vivre.

    -L'infirmier, dit-il finalement, celui qui bossait dans le service où j'étais. Il s'est... Souvenu d'Aïna.
    -Il l'a vue?? Alors elle existe vraiment?!
    -Elle était bien à l'hôpital. Elle "travaillait" là-bas, si on peut dire.
    -Mais encore???

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  • Désormais, c'est Aïna qui est enchaînée sur le trône noir. Des milliers de curieux viennent la visiter chaque jour, espérant qu'il va "se passer quelque chose".Il y a une telle affluence dans la tour de la sorcière que ça ralenti le serveur; l'écran se fige, on ne voit plus que trois frames par seconde, et il devient impossible de manœuvrer son avatar. La direction de Minux Software aurait du fermer la zone, faute de quoi ce sont les maîtres de jeux qui doivent faire le ménage et téléporter ailleurs les joueurs coincés dans le sanctuaire. Du moins quand ils peuvent eux-même y accéder.

    Ça me gêne de la voir exposée comme une bête de foire.
    Pourquoi je me soucie d'un simple avatar?
    Je ferais mieux de m'inquiéter de mon propre sort.

    Quelques jours après la défaite d'Aïna, j'ai refait une polysomnographie, qui a confirmé que les résultats anormaux n'étaient pas dû à une défaillance des appareils de mesure.
    On m'a donc prescrit un scanner.
    Puis une IRM.
    Puis des prises de sang.
    Des analyses d'urines, de selles.
    Puis, enfin, un rendez-vous avec un quelconque spécialiste du cerveau pour m'expliquer ce que j'ai.
    J'ai très mal dormi la veille du rendez-vous, bien que Jennyfer m'ait ardemment (hardement?) "travaillé au corps".

    Dans le hall de l'hôpital, surprise, Adam et Léah sont dans la file d'attente devant l'accueil. Adam, le sourire jusqu'aux oreilles, nous annonce que Léah est enceinte. Ce devrait une bonne nouvelle et pourtant Léah fait une drôle de tête.
    Adam nous raconte, tout guilleret :

    -Ça faisait un moment qu'elle était barbouillée le matin et déprimée le reste de la journée! Et puis ya une semaine, elle me montre un test de grossesse... Sur le coup j'ai pas compris, et puis elle a mis les mains sur son ventre et là j'ai percuté! Héhé, j'suis con des fois...

    Léah garde les yeux rivés sur le sol.

    -Mes félicitations, lui dis-je avec un sourire un peu crispé.
    J'ai du mal à oublier pourquoi moi je suis ici.
    -Merci, répond-elle faiblement.
    Il y a de l'angoisse dans sa voix. Pourquoi ai-je l'impression que je lui fais peur?

    -Aujourd'hui c'est la première échographie, poursuit Adam, jovial, on va voir son p'tit cœur battre! Va falloir qu'on réfléchisse à des prénoms... Tiens, si c'est un garçon on pourrait l'appeler Silvère, qu'est-ce que vous en dites? Ça ferait Silvère Delhaye! Vous voyez le truc? "Verre de lait"! Haha!

    Léah donne un coup de coude à son mec en lui faisant les gros yeux. Jennyfer ne peut pas s'empêcher de pouffer de rire. Quant à moi, je préfère plonger le nez dans la convocation au service neuro-chirurgie.

    -Et vous êtes là pour quoi, si c'est pas indiscret? poursuit Adam en frottant son bras endolori. Vous aussi vous avez une "p'tite graine" en train de germer?

    -Pas dans l'immédiat, dit Jen qui perd soudain le sourire. Je m'efforce de ne pas croiser son regard.
    -Médecine du travail, dis-je. Check up annuel.

    Par bonheur le guichet se libère, coupant court à la conversation. Adam prend sa blonde par la main et se dirige vers la secrétaire.

    Quelques formalités plus tard, Jen et moi trouvons le service de neuro-chir'. Pas le temps de s'assoir, le médecin que je dois voir arrive justement, un paquet de dossiers dans sous le bras, et nous fait entrer dans son bureau. La cinquantaine, cheveux poivre et sel, petites lunettes de presbyte sur le nez. Les valises qu'il se trimballe sous les yeux et son expression grave me font penser à Roger Gicquel.

    Jen et moi nous installons pendant qu'il étale sur son bureaux les images du scanner et de l'IRM.

    -Monsieur Messager, il était grand temps que vous consultiez. Il y a une une grosseur, dans le lobe droit de votre cerveau.
    -Quel genre de grosseur?
    -Nous n'avons pas pu le déterminer. Certains de mes collègues pensent à un kyste, d'autres à un très gros anévrisme, à une tumeur, une inflammation, ou même un corps étranger... Mais les analyses ne sont pas concluantes, dans un sens ni dans l'autre. En tout cas c'est sans nul doute cette grosseur qui a provoqué tous les symptômes dont vous souffrez.

    Je regarde les images dispersées sur le bureau.
    Sur certaines, la forme de la grosseur indéterminée m'évoque celle d'un fœtus.

    Le toubib reprend :
    -Nous allons poursuivre les analyses pour confirmer un diagnostique. Ce que je peux vous dire pour le moment, c'est que ça semble être là depuis très longtemps, probablement depuis votre précédente hospitalisation.

    J'ai une sensation désagréable dans la nuque. Jen prend ma main et la serre.

    -Jusqu'à ce que nous découvrions la nature de cette grosseur, vous allez devoir changer votre mode de vie. Je vois dans votre dossier que vous fumez, hé bien, arrêtez sans plus attendre. Arrêtez également toute consommation d'alcool, et tout effort physique intense, courir, sauter...Y compris les rapports sexuels.

    J'ai envie de rire. Il se fout de moi, là, c'est pas possible.

    -En gros, pour continuer de vivre, faut que j'arrête de vivre, c'est ça?
    -La rupture d'un anévrisme de cette taille vous serait fatale en quelques minutes. Il faut à tout prix éviter les chocs et les stimulations excessives. Vos symptômes prouvent que la chose a évolué, votre mode de vie en est peut-être la cause et pourrait faire empirer la situation. C'est déjà incroyable que vous ayez survécu jusqu'à présent avec cette "bombe" dans votre tête.

    Hé ben. Qu'est-ce que ce serait si j'étais un boxeur alcoolique fumeur de crack.
    -Pourquoi vous m'ouvrez pas le crâne pour m'enlever cette merde?
    -Monsieur, on n'opère pas comme ça, sans savoir à quoi on a affaire.

    Ouais, je sais, question conne.
    -Et mon dossier médical, dis-je d'un ton amer, vous l'avez toujours pas retrouvé?
    -Malheureusement pas, en revanche nous sommes parvenu à contacter un ancien infirmier qui travaillait dans le service où vous étiez soigné à l'époque de votre accident. Il confirme que le professeur Sven Sigursson s'est chargé de votre cas. L'infirmier se souvient aussi d'une machine à laquelle vous êtes resté branché pendant 48 heures, qu'à l'issu de ce délai l'encéphalogramme a montré des signes d'amélioration de votre état, et que vous vous êtes réveillé deux ou trois jours plus tard.

    Je me penche vers le bureau.
    -Et c'est tout? Il saurait pas où se trouve Sigursson à présent? Merde c'est dingue ça, je vais crever pour avoir été cobaye malgré moi d'un savant fou!
    -J'admets que déontologiquement, ce qu'il vous a fait est extrêmement discutable. Mais il est probable que sans ce traitement, vous seriez mort depuis longtemps.
    -Super, j'ai eu un sursis de vingt ans et maintenant j'ai même plus le droit de baiser sous peine de pisser le sang par les oreilles.

    Le toubib soupire et prend son ton le plus convaincant.
    -Monsieur Messager, ne baissez pas les bras, nous ferons tout notre possible pour vous soigner.

    Tandis que nous retournons à la voiture, Jen reste silencieuse, et je lui en sais gré. Mais au moment où je porte une cigarette à mes lèvres avec la ferme intention de l'allumer, elle saisit mon bras.
    -Tu ne vas quand-même pas fumer maintenant?
    -Et pourquoi pas, j'te prie?
    -Tu as déjà oublié ce qu'a dit le docteur?

    Là, j'explose.
    -Il est même pas sûr de savoir ce que c'est!! Je vais quand-même pas me priver de tout!?
    -Vois ça comme une occasion d'arrêter la clope, me supplie Jen. On va arrêter ensemble, ok? Ça fait un moment que j'y pense. D'ailleurs, tout ce que tu n'as pas le droit de faire, je ne le ferai pas non plus.
    -Content d'apprendre que t'iras pas t'envoyer en l'air avec un autre, lui dis-je froidement. Mais si vraiment ça te démange, tu peux toujours aller voir Marvin en dépannage, lui ou moi, c'est un peu pareil, pas vrai?

    Les mots sont sorti de ma bouche comme si quelqu'un d'autre les prononçait.
    Je sens que Jen se retient du mieux qu'elle peut pour ne pas me coller une droite. Ses yeux verts lancent des éclairs, sa bouche tremble, mais elle reste muette. Elle se détourne de moi et file vers sa voiture. Je n'ose pas la rattraper. Elle démarre en trombe et manque au passage d'accrocher un vieux en fauteuil roulant.

    Je sors mon briquet et j'allume la cigarette.

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