• Ce n'est qu'au bout d'une semaine que Marvin a enfin daigné décrocher son téléphone. D'habitude il rapplique ventre à terre quand je l'appelle... La seule fois où il ne l'a pas fait, c'est le soir où Lise a vidé l'appartement, mais il avait une excuse, il était parti à un festival de musique.
    Parfois, je me dis que Marvin est un passeur vers la Quatrième Dimension.

    -Salut mon poulet, comment va?
    -P'tain, t'étais où?? Ça fait des jours que j'attends que tu me rappelles!
    -Hého ça va hein, j'suis pas à ta botte, répond-il froidement.

    Wow, c'est rare qu'il se vexe. Bon ok, je l'ai bien cherché.

    -Euh... Pardon. C'est vraiment important que je te parle... Tu pourrais passer ce soir? S'il te plaît?
    -Chez toi hein? J'ai pas trop envie d'aller chez Jeff.
    -Oui oui, viens chez moi.
    -Jeff sera là?
    -Non. Elle préfère nous laisser causer tous les deux.
    -Tant mieux. Dis, ça t'intéresse des revues pornos? J'ai cinq cartons plein, j'sais pas quoi en faire.
    -.... Marv', t'es au courant que j'ai une copine?
    -Et alors? Jeff ça la faisait marrer de les feuilleter chez moi. Et des sextoys, ça t'intéresse?
    -Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse??
    -Pour pimenter un peu vos ébats?
    - J'te remercie mais on n'a pas besoin de gadgets.
    -Pourtant Jeff a un vibro. Elle te l'a jamais montré?
    -Que...?! *un, deux, trois* Bon, c'est quoi le problème avec Jen? Vous avez recommencé à coucher ensemble derrière mon dos?
    -Alors ça t'inquiète, ça risque pas d'arriver!
    -Elle m'a dit la même chose à quelques mots près. Variez un peu vos répliques si vous voulez être crédibles...
    -Arrête d'être parano, j'en ai vraiment rien à cirer de ta gonzesse. En plus, je fais une cure d'abstinence.
    -Une cure de QUOI? J'ai du mal comprendre...
    -Je suis une thérapie pour accros au sexe. C'est pour ça que je me débarrasse de mon matos, ça fait partie du contrat moral. Pas de rapport sexuel, pas de branlette, pas de stimulations, revues, films ou autres.
    -...J'en reviens pas que tu me racontes un truc aussi intime...
    -Ben quoi, t'es mon meilleur ami, je peux bien te parler de mes problèmes de santé, nan?

    Oui mais non, Marv', pas ça!
    En temps normal je me serais copieusement foutu de lui... Si je n'avais pas été moi aussi contraint à l'abstinence...
    -Mais tu vas jamais tenir!!
    -Pourquoi pas? T'es bien resté un an et demi sans niquer, après ta rupture avec Lise.
    -Que tu crois. Quand j'avais besoin de tirer ma crampe, je me tapais une fille moche rencontrée sur internet.
    -Ah ouais?? Tu m'avais jamais dit... Et après c'est moi qu'on traite de pervers...
    -Mais moi, je me tape pas 365 nanas par an! Tu commences quand, ta cure?
    -Ça fait huit jours que je tiens bon. Et des capotes, t'en veux? Ça sert toujours, les capotes...
    -On n'en met plus depuis quatre mois, Jen prend la pilule. C'est l'avantage d'avoir une régulière, fidèle, enfin aux dernières nouvelles...

    En réalité elle a cessé de la prendre, vu qu'on ne fait plus rien au lit... Je me sens moins seul de savoir que Marvin est dans la même situation que moi, et j'ai presque envie de lui dire... Mais lui le fait par choix, et non par obligation. S'il craque, ça n'aura aucune conséquence, alors que moi je pourrais en mourir, ou finir en légume. Et puis, suite à mon accident, Marvin était devenu surprotecteur à un point que parfois c'en était gênant. Ça lui est passé à la longue, mais je ne voudrais pas que cette histoire de grosseur dans ma tête ravive cette manie.

    -Merci Gros, la confiance règne, bougonne Marvin.
    -Roh, ça va, désolé... Comment tu fais pour tenir le coup?
    -J'vais à des réunions, comme les alcooliques. J'fais un peu plus de sport. Je m'occupe de Théo. Je m'occupe l'esprit. Et quand malgré tout j'arrive plus à penser à autre chose qu'au sexe, j'me roule un joint, ça m'aide à passer la crise.

    Un joint... J'en fumerais bien un là tout de suite... Ou un cigare. Ou n'importe quoi d'autre qui produit de la fumée.
    Même un bout de papier journal roulé ferait l'affaire.
    Allez, ça je peux lui dire.
    -Tu sais quoi, j'essaie d'arrêter la clope.
    -Sérieux? Bon courage alors!! C'est cool, on va pouvoir se soutenir mutuellement! T'as commencé quand?
    -J'ai fumé ma dernière y a une semaine... J'ai des patchs à la nicotine, des gommes à mâcher dégueulasses, et je suis tellement frustré qu'il m'arrive de rêver que je fume.
    -Ah, des rêves, j'en fait aussi... Assez torrides parfois... J'me réveille avec un gourdin pas possible, et tout ce que j'ai le droit de faire, c'est verser de l'eau froide dessus. Y paraît que je pourrais prendre des médocs qu'on prescrit aux violeurs, mais j'ai peur qu'à force l'effet soit définitif... J'voudrais pas devenir impuissant non plus...

    De la castration chimique... Je vois d'ici le neurochirurgien m'annoncer que, ça aussi, c'est mauvais pour mon cas...
    De toutes façons dans l'immédiat, c'est triste à dire mais la cigarette me manque plus que le sexe.

    -Compense au plumard quand t'es en manque de nicotine, dit Marvin, ça défoule et ton cerveau produit des endorphines au moment de l'orgasme... J'suis sûr que Jeff se fera pas prier pour t'aider...
    -Par pitié Marv', arrête de nous imaginer en pleine action, ça devient glauque...
    -Désolé... J'ai tendance à projeter ma frustration sur les autres... Au fait pour ce soir, faudra que je reparte avant 22h, après je dois préparer mon émission.

    "Pour ce soir"? Bon sang, avec ses conneries j'avais presque oublié pourquoi je l'appelais!

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  • Françoise m'a prodigieusement énervé.
    Je sais qu'elle a raison, que je devrais (que j'aurais du depuis longtemps) discuter avec le darron. Mais je ne suis pas encore prêt. Lorsque j'étais passé récupérer mes vieux cartons de souvenirs chez lui, et malgré le soutient de Jen, je me sentais... Sans défense. Des flots de souvenirs aigres me remontaient jusqu'au bord des lèvres, j'avais la nausée.

    Le pire, c'est quand parfois dans le miroir, je surprends son regard froid.

    Je ne veux pas être comme lui.
    Et surtout, je ne veux pas crever avant lui.
    Il faut que je trouve une piste.

    Et Marvin qui ne répond toujours pas...
    Allez, on va réessayer la technique de maîtrise de soi.

    Je vais en avoir besoin pour le prochain coup de fil. Ça décroche dès la première sonnerie.
    -Galerie L'œil et l'esprit bonjour!
    -Hum. Je voudrais parler à.. Euh... Amour.

    Petit silence (c'est bien ellui). Puis la voix au timbre indéfinissable reprend.
    -À quel sujet s'il vous plaît?
    -C'est moi, Silvère. Messager. Jen m'a raconté la conversation que vous avez eu.

    Encore un silence.
    -Si c'est pour des insultes, je n'ai ni le temps ni l'envie.
    Un, Deux, Trois...
    -J'aimerais te poser des questions.
    -Je t'ai déjà livré tout ce que je savais. Tu as visité les parents d'André, je ne vois pas bien ce que je pourrais ajouter.
    Un... Deux... Trois...
    -S'il te plaît, dis-je le plus calmement possible. J'étais pas moi-même quand tu es venu. C'est vraiment, vraiment important.

    Nouveau silence. Mais j'entends un soupir de lassitude à l'autre bout de la ligne.
    -J'ai pas le temps maintenant. Rendez-vous au café-philo «"Des Ronds dans l'eau" à 19h30.

    Ile m'agace mais au moins, je sais qu'ile m'écoutera et me laissera parler. Côté maîtrise de soi, ça devrait aller. Par contre, je vais garder pour moi l'histoire de la grosseur/tumeur/anévrisme/machin qui peut me tuer n'importe quand.
    À l'heure dite, Amour m'attend en terrasse malgré le froid, fumant une cigarette. J'en aurait bien grillé une moi aussi. Les patchs anti-tabac ne soulagent pas tout. En m'asseyant en face d'ellui je respire à fond, pas tant pour me donner du courage que pour inhaler au passage quelques volutes de tabac.

    -C'est bien à Silvère que je m'adresse aujourd'hui? Demande l'hermaphrodite avec un petit sourire amusé.
    -Ouais, c'est toujours moi.
    Ses yeux gris clair me scrute comme s'ile cherchait confirmation. Mon expression renfrognée la lui donne.
    Ile décroise-recroise des jambes gainées de nylon sous son tailleur-jupe de working girl. Boucles d'oreille, maquillage et talons hauts, Amour est en mode féminin aujourd'hui.
    De sa voix monotone, ile me parle de notre rencontre (j'arrive pas à croire que je lui avais donné un portrait d'Aïna, alors que je ne l'ai jamais montrée à personne, même pas à Marvin), de ma tentative de suicide, de mon comportement étrange et binaire, Aïna qui parle à travers moi, paralysant ma main qui tient le cutter... Puis le même comportement incongru, mais plus réservé, lors de sa visite pour m'apporter l'album de dessins.
    Si je compare avec les observations de Jennyfer, tout concorde pour dire que je souffre d'un sévère dédoublement de personnalité. Ce serait si simple, s'il n'y avait pas aussi tous ces dessins d'André, le second patient.
    -Tu es absolument sûr, insiste Amour, de n'avoir rien laissé là-bas à ta sortie de l'hôpital? Pas le plus petit dessin qui traîne?
    -À force, je commence à en douter...
    -Je ne vois pas d'explication plus rationnelle. Tu as dessiné Aïna, tu as noté son nom en dessous... Quelqu'un a pris le dessin et d'une manière ou d'une autre André l'a vu en sortant du coma et s'en est imprégné.
    -Ça veut dire que j'ai rendu fou ce pauvre gars avec un dessin?
    -Ce n'est pas ta faute. Ses facultés intellectuelles étaient détruites par l'accident, la chirurgie et la machine n'ont simplement pas pu les restaurer. S'il n'avait pas vu un dessin d'Aïna, il aurait probablement fixé son attention sur autre chose, n'importe quoi d'autre.
    -Bon, dis-je en soupirant, je crois que je t'ai fait venir pour rien... Au fait, pourquoi tu t'es mis à faire des recherches pour moi?

    Ile hausse les épaules.
    -C'est arrivé par hasard, les indices tombaient devant mon nez, je n'avais qu'à tendre la main pour les saisir.
    -T'aurais pu garder tout ça pour toi, pourquoi tu m'as mis au courant?
    -Je ne supporte pas qu'on se serve des autres, qu'on les manipule. Mentalement et/ou physiquement.
    -On pratiquait le lavage de cerveau, dans ta secte?

    Amour pose avec précaution sa cigarette sur le bord du cendrier et croise les mains sur la table.
    -À dix ans, parce que j'étais différent, le gourou de la secte a décrété que j'étais "l'Elu", une espèce de sauveur. Sous prétexte d'initiation, je suis devenu le jouet sexuel d'une poignée de fanatiques. Avec l'approbation de mes parents.

    Ile me fixe de son regard clair et impassible.
    Je suis terriblement mal à l'aise. Quel con, pourquoi j'ai abordé ce sujet???
    Amour poursuit son récit.
    -Ça a duré jusqu'à ce que la DDASS s'en mêle et embarque les enfant, dont moi. Après, ce fut à peine mieux, mais ça je t'en ai déjà parlé. Certes ça ne m'a pas tué, par contre j'ai essayé de mourir plusieurs fois, par divers moyens. Il y a des souvenirs, si incroyablement sombres et douloureux qu'ils donnent envie de disparaître instantanément pour ne plus souffrir. Malgré tout j'ai décidé de lutter, de survivre à cette horreur, pour faire la paix avec moi-même.

    À côté de ses épreuves, ma propre T.S. oblitérée par l'alcool me fait l'effet d'un stupide rage-quit*.
    Croyant trouver une branche à laquelle me raccrocher, je m'enfonce encore davantage :
    -Tu leur as pardonné? À tes parents, je veux dire...

    Ile plisse les yeux.
    -Leur pardonner d'avoir été naïfs, au point de donner leur unique enfant en pâture à des pervers qui leur promettaient la vie éternelle?... Non, j'ai pas pardonné. Mais parfois, j'aimerais en avoir la force, parce que la paix intérieure ne peut être complète que si on fait aussi la paix avec les autres; enfin c'est ma vision des choses. Mon père m'avait envoyé une lettre d'excuse avec un gros chèque, je lui ai réexpédié le tout déchiré en petits morceaux. Il est mort il y a dix ans sans nouvelle de moi. Ma mère vit encore. Peut-être qu'un jour... Avant qu'elle ne décède elle aussi...

    Je sais pas quoi dire. Je suis nul pour accueillir la détresse des autres. Je pense à mon père.
    Working Girl reprend sa clope et aspire une longue bouffée, l'air absent. À quelques tables de la nôtre, un étudiant ouvre son mini-pc, se met à pianoter. Amour promène sur lui un regard distrait. Ile pose soudain un doigt sur ses lèvres fines, et se tourne de nouveau vers moi.
    -Ce n'est peut-être pas important mais puisque tu veux éplucher le moindre détail... La nuit de ta tentative de suicide, ton ordinateur était allumé. J'ai vaguement aperçu à l'écran une silhouette humaine sur un fond noir, et je crois qu'il y avait des espèces de cases à côté. Après t'avoir "sauvé" et réconforté, je suis sortie de la salle de bain pour déplier ton canapé-lit. Entre temps l'ordinateur avait planté, l'écran était bleu. Machinalement, je l'ai éteint. J'aime pas voir des appareils fonctionner pour rien.

    Silhouette... Fond Noir.. Des cases... Un flash de mémoire surgit du fond de mon crâne.
    -L'éditeur de personnage d'Ysckemia!! J'étais en train de créer un avatar à l'effigie d'Aïna!
    -Je t'avais dit en plaisantant qu'elle viendrait peut-être te visiter dans tes rêves... Tu as du vouloir prendre les devants...

    C'était donc moi, l'auteur de l'avatar qui me hante sur mon lieu de travail? Est-ce que quelqu'un aurait tenté ce soir-là une intrusion dans mon ordinateur, et aurait récupéré l'Aïna que j'avais modélisé?? Mon enthousiasme retombe vite. Quels que soient les indices, tout revient toujours à moi, du moins tant que je n'aurais pas trouvé où se cache le professeur Sigursson...


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    *Fait de quitter un jeu sous le coup de la colère (ou de la frustration). Pierre Palmade à la fin de son sketch sur le Scrabble fait une belle démonstration de rage-quit (comme quoi i n'y a pas que les amateurs de jeux vidéos qui en sont capables!)


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  •  -...Mais encore??? demande Jen, les yeux écarquillés.
    J'ai pris une grande inspiration, et j'ai lâché l'info.
    -AINA, c'est pas exactement un prénom. C'est l'acronyme sous lequel Sigursson désignait la machine qu'il a testé sur moi et les deux autres types.
    Jen reste bouche bée, comme si elle attendait un complément d'explication.
    -La boucle est bouclée. Ça fait donc vingt ans que je rêve de la machine qui m'a sorti du coma.
    -Mais ya pas que cette machine, proteste Jen, et la poupée de chiffon? Tu l'a bien trouvée dans un des cartons rapportés de chez ton père?
    -On s'en tape, c'est largement antérieur.
    -Mais tu disais que la poupée en silicone faisait écho à l'autre...
    -J'ai du me tromper. C'était peut-être une pure coïncidence. Je ne vois aucun lien avec mon enfance. De toutes façons, elle est perdue. Je commence même à me demander si j'ai pas seulement rêvé l'avoir vue dans ce carton...

    Consternation.

    Cependant...
    Le lendemain matin, j'ai décidé de faire appel à d'autres témoins.
    Ça va me permettre de tester la nouvelle méthode de Jen pour maîtriser ma langue.
    Elle s'est montrée suffisamment claire. Si je la blesse à nouveau, ce sera fini et je serais le seul à blâmer. Alors pour éviter de lui balancer à nouveau des saloperies, elle m'a suggéré de compter jusque trois, lentement, avant de parler. Histoire de bien peser mes mots.

    Tandis que Jen prépare un brunch, je m'isole dans sa chambre pour téléphoner
    Marvin ne décrochant pas (ah, c'est vrai, à cette heure-là il est au club de sport), j'appelle Tante Françoise.
    Elle, ne fait plus de sport depuis longtemps (si elle en a jamais fait un jour).
    -Allô?
    Sa voix sonne triste.

    Un, deux, trois.
    -Tantine, c'est Silvère. J'te dérange pas? J'ai des questions à te...
    Elle ne me laisse pas finir.
    -Ah! Silvère, tu tombes bien! Justement, j'ai voulu t'appeler, mais t'étais pas chez toi! Et j'ai pas ton numéro de portable! Écoute, j'ai quelque chose de grave à t'annoncer : ton père a un cancer!
    Un, deux, trois.
    -Ouais, je sais.

    Silence, pendant quelques secondes. Je suis assez content de mon ton désinvolte.
    Celui de Françoise frise déjà l'hystérie.

    -Comment ça, t'es déjà au courant??
    Un, deux, trois.
    -J'suis passé chez lui ya deux mois pour récupérer des affaires. Je savais pas qu'il était malade, mais ma copine a vu une batterie de médocs dans la salle de b...
    -On vient seulement de me l'annoncer!! T'aurais pas pu m'en parler plus tôt??!
    Un, deux, trois.
    -S'il a pas envie de parler de sa santé, ça le regarde. Bon, c'est pas pour lui que je t'appelais, j'aurais voulu savoir si tu...
    -Mais enfin Silvère, tu te rends compte?? C'est grave! C'est pas une info qu'on garde pour soi!
    Un, deux, trois.
    -Entre nous, Françoise, si t'as pas remarqué c'est que t'as pas du aller le voir depuis un bon moment, toi non plus...
    -Ouais, ben... Excuse-moi d'avoir une vie de famille, hein!

    Elle me tape su les nerfs mais je vais tenir bon.
    Un, deux, trois.
    -Je savais pas ce qu'il avait, je vois pas pourquoi je te l'aurais dit. Est-ce qu'on pourrait aborder un autre sujet, s'il te pl...
    -C'est dingue, on dirait que ça t'es complètement égal... Franchement, tu me fais de la peine!
    Un, deux, trois.
    -Je t'avoue que oui, j'ai autre chose à penser que sa santé à lui. Depuis qu'il m'a jeté dans un escalier, effectivement je ne me sens plus trop concerné par son sort... Et justement je...
    -Ha! Ton copain Marvin, je le retiens celui-là, dit-elle d'un ton véhément. Il t'a bien monté le bourrichon avec cette histoire! Comme si ton propre père avait voulu te tuer, n'importe quoi!

    À ce stade, le manque de nicotine se fait méchamment sentir, le sang bat contre mes tempes, ma tension artérielle flanquerait probablement la frousse à n'importe quel médecin.
    Un, deux, trois.
    -Tantine, je...
    -Tu sais qu'à cause de ce que Marvin a dit aux flics, ton père a passé 24 heures en garde à vue? J'ai du convaincre ton pote de retirer sa plainte! Ce misérable, on n'aurait jamais du le laisser venir te voir à l'hôpital! Avec les conneries qu'il t'a raconté, il a brisé la famille!! Tu sais qu'il y en a encore qui croient qu'il avait raison, en plus!

    'Suis désolé Jen. J'ai vraiment essayé. Ta méthode, elle marche pas avec les pipelettes.

    -MAIS PUTAIN TU VAS M'ÉCOUTER??? MON PÈRE A LAISSÉ UN SAVANT FOU M'UTILISER COMME COBAYE ET À CAUSE DE ÇA, JE VAIS PEUT-ÊTRE CREVER D'UNE HÉMORRAGIE CÉRÉBRALE!!

    Jen arrive en trombe dans la chambre, inquiète.
    Je lui fais signe que tout va bien, Françoise s'est enfin tue.

    -Ça y est, j'peux en placer une?? Alors, tu savais ou pas, pour la machine?
    -Hein?! Mais quelle.. Quelle machine?Non, je ne vois pas de quoi tu parles, qu'est-ce qui t'arrive?
    -Si je suis sorti du coma, ça n'a rien d'un miracle, le darron a autorisé un type à tester un traitement expérimental sur moi. Il t'a rien dit là dessus?
    Elle bafouille que non, elle savait pas, elle s'est contenté de remercier Dieu et de brûler un cierge à l'église... Mais elle reprend bien vite son aplomb.
    -Et après tout, rétorque-t-elle, s'il avait pas accepté, tu serais plus en vie aujourd'hui! Il a sûrement cru bien faire...
     

    Et me jeter dans l'escalier, ça aussi c'était pour mon bien?
    -Pour info, sur les deux autres cobayes humains, l'un est devenu un légume, et l'autre est mort sur le billard. Et moi je risque d'y passer bientôt si je ne retrouve pas le type qui m'a opéré... Je t'appelais pour savoir si tu te souvenais de quoi que ce soit à propos du traitement, ou du médecin qui s'est occupé de moi.
    -Ça remonte à tellement loin, tu sais... Et puis j'étais tellement inquiète, j'ai oublié les détails... Et après, j'étais tellement heureuse quand tu t'es réveillé que...
    -Mouais, bon autrement dit tu ne sais rien.
    -Tout ça tu devrais en parler avec ton père... C'est le premier concerné, non? En tout cas dépêche-toi, il en a plus pour très longtemps... Il a été hospitalisé hier. Il a des métastases partout et Odette m'a dit qu'il refuse de faire une nouvelle chimio... Va le voir, et profitez-en pour faire la paix tous les deux...
    -N'espère pas que je vais pleurer sur son sort. J'ai déjà assez à faire à sauver ma propre peau.
    -Ah bravo... Tu peux haïr ton père autant que tu veux, mais t'es aussi aigri et égoïste que lui!

    Elle raccroche.
    J'ai envie de balancer mon téléphone contre le mur.
    Jen passe ses bras autour de mes épaules, et me serre comme si elle pouvait absorber la tension qui me fait trembler de colère.

    Un, deux, trois....
    Va te faire foutre, Tantine.

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