• Frappé par la lumière intense, la tête de mon double se met à griller comme de la paille sous la flamme d'un chalumeau. Décapité, il vacille et lâche la gorge d'Aïna. Il titube dans ma direction puis s'écroule à son tour. Ses contours s'estompent peu à peu, et juste avant de disparaître totalement, je l'entends croasser "On se reverra"....

    Le monde se met à basculer autour de moi et je m'éveille, confus, étendu sur un lit froid, dans une large pièce éclairée de néons. J'ai des électrodes collées sur les tempes et le torse. Un masque à oxygène sur le nez. Une aiguille à perfusion plantée dans le bras. Mon index gauche est pris dans une pince reliée à une machine. Je dégage mon doigt et la machine se met à bipper frénétiquement.
    Une silhouette grise se précipite vers moi et prend ma main.
    -Monsieur, dit une voix de femme, vous m'entendez?

    J'aimerais lui dire que oui, mais les mots ne sortent pas. Elle voit que j'hésite et me demande alors de serrer sa main en guise de réponse. Je m'exécute. Elle m'explique que je suis aux urgences.
    On m'examine, on me scanne, on me teste, et je ne parviens toujours pas à parler. On me dit que je souffre d'aphasie. Je comprends soudain d'où vient le nom de ce sort utilisé dans les jeux de rôles pour empêcher les magiciens d'utiliser les incantations verbales....
    On me tend un bloc-note et un stylo, et spontanément je me mets à écrire parfaitement de la main droite, alors que j'ai toujours été gaucher.

    Les heures passent. Est-ce la nuit, le jour, je n'en sais rien, la lumière fade des néons est partout la même. On me transfert du service d'urgence vers une chambre. Je signale (toujours en écrivant, de la main droite) que j'ai faim, mais on me fait comprendre qu'il est trop tôt pour m'autoriser à manger, au cas où mon état change brutalement et qu'il faille m'intuber.

    Je me retrouve seul, avec mon estomac qui gargouille.
    Sur le mur en face de moi se trouve une reproduction fanée d'un tableau impressionniste.
    J'ai le titre sur le bout de la langue, mais il me semble que quelque chose manque...

    Les heures passent, et la seule visite que je reçois est celle du neurochirurgien qui m'a annoncé qu'il ne me restait que six mois à vivre. En principe il était en repos aujourd'hui, mais il a rappliqué ventre à terre quand on l'a prévenu que j'étais aux urgences...
    Il affiche toujours cette même expression accablée, ce même ton grave, en feuilletant les analyses du jour.
    Je me sens indifférent à ses explications, à son jargon médical, mes yeux restent rivés derrière son épaule, sur ce tableau que je n'arrive pas à identifier. C'est terne. Tout comme la lumière du jour qui filtre à travers les rideaux de la chambre.

    Le neurochirurgien me fait part d'un nouveau diagnostique. D'après lui, une portion de mon cerveau a muté, et fonctionne de façon indépendante du reste, et envoie des ordres contradictoires à mes fonctions vitales (et motrices, apparemment). En l'occurrence, les battements de mon cœur ont ralenti à un rythme dangereusement lent, me laissant à deux doigts de l'ischémie cérébrale.

    Ça devrait m'effrayer, mais ce que j'ai vécu de l'intérieur était bien pire encore.

    Mon zélé praticien me propose une opération de la dernière chance : ôter ou déconnecter cette portion de cerveau déglingué, pour supprimer les effets aléatoires. Tiens, c'est marrant, la dernière fois qu'on a discuté de mon cas, c'était rigoureusement inopérable...
    Quand je lui fais remarquer, il me précise qu'effectivement, les risques sont très grands que j'y reste. Et que si je survis, il y aura de toutes façons des effets lourds et irréversibles, entre autre la possibilité de finir en légume.
    Je décline l'offre. Il me propose d'y réfléchir encore, sachant que depuis, mon pronostic vital est passé de six mois à seulement deux ou trois.
    Quelle merveilleuse perspective.
    Si je laisse @ïna prendre possession de mon corps, je crève. Si je laisse Mister Self-Destruct me rafraîchir la mémoire, je crève. Si je ne fais rien, je crève.

    Dans tous les cas, je suis baisé.

    Le neurochirurgien se retire, vaincu par mon "NON" écrit en grand sur le bloc-note, accompagné d'un doigt d'honneur (de la main gauche). Quelques minutes après lui, une femme fait irruption dans ma chambre. Cheveux longs et ternes, yeux clairs plein d'angoisse et de fatigue. Elle guette mes réactions. Oh bon sang, c'est Jen... J'ai faillit ne pas la reconnaître.

    Sur le coup plus préoccupé par son allure que par la discussion qui nous attend, je lui griffonne :
    -Pourquoi tes cheveux sont gris?
    Son expression passe de l'angoisse à la perplexité.
    -Gris?? Mais qu'est-ce que tu racontes?...

    Ou plutôt, qu'est-ce que je vois?
    Mon regard passe rapidement de Jen au le tableau sur le mur.
    Ça y est, je le reconnais. C'est "Impression Soleil Levant", de Monet. Un frisson me raidit la nuque.

    Effet temporaire ou pas, je suis maintenant incapable de distinguer les couleurs.

    (288) Fatality

     


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